Une définition de la perfection
Il y a une question qui revient rĂ©guliĂšrement dans mon quotidien, sur la toile comme sur la terre, que je trouve particuliĂšrement intĂ©ressante et importante : peut-on ĂȘtre engagĂ© sans ĂȘtre irrĂ©prochable?
D'aprĂšs moi, cette question en amĂšne une autre : a-t-on vraiment besoin dâĂ©tiquette pour se sentir droit dans ses baskets?
Sâofficialiser vĂ©gĂ©tarien, se prĂ©senter comme Ă©tudiant ou rĂ©pondre par son mĂ©tier Ă la question « Que fais-tu dans la vie ? » est un rĂ©flexe naturel, sans doute. Mais est-ce satisfaisant?
Donner un nom Ă notre personnalitĂ© nous permet de nous renforcer dans nos dĂ©marches, dâĂȘtre sĂ»r de suivre un certain chemin et de sây accrocher quand on ne sait plus trop oĂč aller. Mais sommes-nous une entitĂ© unique ? Y a-t-il vraiment un adjectif qui regroupe notre personnalitĂ©, une activitĂ© qui puisse nommer lâĂ©tendue de notre quotidien ? Non.
Et si on essayait de rejeter les Ă©tiquettes ?
Si on me demande "Tu fais quoi dans la vie?" j'ai toutes les difficultĂ©s Ă choisir un adjectif ou un mot. Dans mon esprit les rĂ©ponses fusent, en vrac. Je ne dirais par exemple pas que je suis Ă©tudiante mais plutĂŽt que je fais des Ă©tudes, parmi dâautres choses. âJe randonne, je fais des gĂąteaux, jâĂ©tudie en LEA, je voyage souvent, jâaime bien faire du yoga et jâessaie de sauver la planĂšte.â Ou encore âJâapprends Ă mĂ©diter, jâĂ©cris un livre, je suis 3 fois tata et je me suis mise au japonais il y a pas longtemps. Ah, et aussi, je suis de la FAT family, tu connais le Fermes d'Avenir Tour?â Laquelle de la premiĂšre ou seconde liste me reprĂ©sente le plus ? Comment hiĂ©rarchiser toutes ces choses, ces statuts, ces activitĂ©s, pour nâen choisir quâun ? Non, je ne suis pas vĂ©gane mais jâai une alimentation exempte de produits issus de lâexploitation animale. Non, je ne suis pas pĂątissiĂšre, mais jâai lâexpĂ©rience et le savoir-faire de ce mĂ©tier. Nous ne sommes pas ce que nous faisons, nous ne sommes pas ce que nous disons, nous sommes un gros mĂ©lange illogique d'actions et d'idĂ©es, d'activitĂ©s et de rĂȘves. La vie est trop riche, trop belle, pour quâon lui donne un seul nom.
Petite digression Ă©tant faite, on peut maintenant revenir au sujet: faut-il ĂȘtre parfait pour ĂȘtre engagĂ© ?
Je connais des gens qui ne veulent pas passer Ă une alimentaire vĂ©gĂ©tale car ils sâen sentent incapables. Incapables de renoncer Ă 100% au fromage, incapables de refuser systĂ©matiquement une invitation Ă un barbecue ou dâabandonner lâapĂ©ro vin blanc melonâjambon de leurs vacances sur la cĂŽte Corse. J'en connais d'autres qui aimeraient manger vĂ©gĂ©talien, mais se flagellent lorsquâils se sont servis sur le plateau de fromage familial Ă lâoccasion de lâanniversaire de leur arriĂšre-grande tante. Du coup c'est dur de poursuivre un engagement, quand on le voit comme une suite d'Ă©checs et craquages. Mais diantre, d'oĂč vient cette terrible pression?!
Mais oui, d'oĂč vient-elle?!
Je nâai aucun scrupule Ă dire que je mange vĂ©gĂ©talien, bien que lorsque je travaille dans un restaurant et que jâutilise lait, beurre et Ćufs, je goĂ»te mes prĂ©parations. (ouf!) Je nâai aucun scrupule Ă manger un Ćuf quand je dĂ©jeune chez la tante de Q qui a ses adorables poules caquetant dans le jardin. Je nâai aucun scrupule Ă porter mes Doc Marteenâs en cuir de vache achetĂ©es en fripe. Je nâai aucun scrupule Ă dire que jâessaie de sauver le monde juste aprĂšs avoir pris une longue douche chaude et dĂ©gustĂ© un pudding de graines de chia Ă la noix de coco importĂ©s de l'autre bout de la planĂšte.
Jâessaie, vraiment, jâessaie dâĂȘtre cohĂ©rente dans tous les aspects de ma vie. Je ne mets -quasiment- plus les pieds dans des grandes enseignes, alimentaires ou non, je nâachĂšte plus sur Amazon, je privilĂ©gie le local, le seconde main, les brocantes et le fait-maison. Jâessaie de fabriquer ou rĂ©utiliser avant dâacheter, jâachĂšte bio, et je ne donne pas dâargent aux organismes ayant un lien avec lâexploitation animale ou humaine, je nâachĂšte quasiment rien de neuf⊠Et pourtant oui, jâaime acheter des noix de cajou et je pense que je ne me passerai jamais de chocolat, mĂȘme si ce nâest pas vraiment Ă©cologique de se tourner vers des aliments exotiques. Et pourtant, jâai un Iphone et un Mac mĂȘme si je sais quâApple nâest ni vert, ni blanc. Et pourtant⊠Ce nâest pas parce que je ne fais pas tout que je ne suis pas engagĂ©e, et je pense que chaque pas compte, aussi petit soit-il, et quâil est grand temps de se dĂ©culpabiliser.
Lâautre jour, en covoiturage, une fille nous disait "Je suis vĂ©gane, enfin... je mange du fromage parce que je ne peux vraiment pas mâen passer, et des Ćufs aussi car mon copain a des poules."
Jâai Ă©tĂ© Ă©tonnĂ©e de voir quâelle tenait Ă se donner le titre de vĂ©gane alors quâelle Ă©tait plutĂŽt vĂ©gĂ©tarienne. Un peu comme si, face Ă un couple vĂ©gane, elle avait peur dâavouer quâelle en faisait moins, comme si elle hiĂ©rarchisait nos choix de vie. Quelques minutes plus tard, nous parlons dâaliments vĂ©gĂ©taliens disponibles dans les supermarchĂ©s (cracra) classiques comme les cookies Granola (certes tellement Monsanto mais aussi tellement bons!), ce Ă quoi elle nous rĂ©pond, de façon assez pĂ©remptoire et manifestement choquĂ©e: "Ah non mais ça câest fait avec de lâhuile de palme, et dĂ©solĂ©e mais lâhuile de palme câest pas vĂ©gane!" (Dans certaines cultures, des singes sont exploitĂ©s pour cueillir les fruits, oui, c'est triste.) A ses yeux, il semblait que nous venions de perdre toute crĂ©dibilitĂ© dans notre engagement vĂ©gane Ă la simple Ă©vocation de la consommation dâun produit comportant de lâhuile de palme. Vous avez dit radical ?
Alors peut-ĂȘtre que, pour ne pas paraĂźtre incohĂ©rent, il faut abandonner toute Ă©tiquette. Peut-ĂȘtre aussi quâon pourrait dĂ©cider dâencourager plutĂŽt que de casser, de voir le chemin parcouru plutĂŽt que celui qui reste Ă parcourir, et de surtout ne pas se laisser rembarrer par le premier venu. (Ceci Ă©tant dit, c'Ă©tait un trajet trĂšs agrĂ©able). Le but de tout un chacun est avant tout d'ĂȘtre heureux, et il n'y a pas de recette miracle, mais une chose est sĂ»re, c'est qu'ĂȘtre bienveillant est dĂ©jĂ un bon pas, surtout envers soi-mĂȘme!
Pour revenir au titre de cet article : quelle est donc la dĂ©finition de la perfection? Peu importe! Il faut avant tout faire ce quâon a envie de faire en notre Ăąme et conscience et non sous la pression dâune quelconque institution, quâelle soit familiale ou sociale. Je pense que manger un Kinder Bueno un jour ne fait pas de nous des partisans Monsanto, pas plus quâacheter un T-shirt chez H&M ne fait de nous des exploiteurs dâenfants. On peut essayer de mettre notre argent et notre Ă©nergie dans des causes louables, on peut Ă©viter autant que possible les grandes enseignes et toute lâhorreur quâelles gĂ©nĂšrent et quand mĂȘme ne pas sâauto-flageller lorsque quâon se tourne vers des produits de grande consommation de temps en temps. Nous ne sommes pas reprĂ©sentĂ©s par nos Ă©carts, pas plus que nous ne sommes reprĂ©sentĂ©s par une Ă©tiquette, et ce qui compte ce nâest pas le nom que lâon se donne mais bien le chemin que lâon a dĂ©cide dâemprunter, peu importe oĂč lâon se trouve sur ce chemin. Lâimportant est dâĂȘtre vrai, et le mantra du jour en cadeau : Faire des Ă©carts, câest la preuve quâon fait des efforts !
LumiĂšre et Joie, SilĂšne đąâš
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